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Journal extime
16 janvier 2006

L'épuisement du public

L’épuisement du public

            Raccourci des temps. Davantage de blog que de lecteurs. Ils étaient quelques-uns à écrire, peu à lire. Désormais tant à écrire pour un lecteur bientôt introuvable. Le triomphe de l’expression dans l’épuisement du public ?

            Je crois pouvoir désormais me satisfaire de ce grand vide.

            

Postures d’immortalité :

-         écrire pour soi en préparant les œuvres complètes. Prétendre à ce que le moindre de ses écrits vaudra recueil quand l’œuvre sera advenue. Mais si l’œuvre n’advenait pas ?

-         publier au plus tôt, s’assurer d’emblée une publicité. Parier que les plus rapides propos vaudront pour œuvre de jeunesse. Publier y compris dans la plus étroite des tribunes. Prétendre au tout un jour rassemblé en dits et écrits. Mais quand on sait ce que valent ces impromptus, ces menstrues (Ponge), comment les imposer à tout va ?

-         Correspondre. Faire de ses amis les premiers lecteurs. Se donner d’emblée l’autre comme condition de l’écriture au point d’en faire un alibi. Prétendre au recueil des correspondances complètes. Mais c’est supposer que le correspondant accepte de se faire auteur – sans cela, il n’est qu’adressage.

Mais pourquoi écrire ? La perte et le trop plein comme révélation de l’urgence.

Le trop plein. Quand N. m’a quitté j’ai mesuré avec effroi que de moi elle ne dirait rien. Un quelconque j’ai vécu. Un garçon. Une raison sociale. Un âge. Une période. Quelques traits de caractères qui apparaîtront à la faveur d’une colère. J’ai mesuré ce que je ne pouvais que savoir. D’un précédent que savais-je sinon qu’il pressait le pas en oubliant de l’attendre ? Panique succédant à d’épuisantes colères, je lui avais transmis tous mes cahiers. Espérant vainement qu’elle me lise, qu’elle me lise enfin. Pour témoigner sans doute. Elle n’a guère lu que quelques pages. J’ai bien vite récupéré mes cahiers.

Le trop plein en guise de gouffre. Si je venais à mourir, qui pourrait témoigner ? Ce que je fus (Michaux)…Non pas le dernier mot, mais les mots en parcours, leurs ratés, leur impuissance…et la vie en rabats, ses lâchetés, ses travers, ses orgueils et ses réussites. Le lecteur en somme. Le lecteur ultime – le fils – pour cette union sans enfants.

La perte. Depuis des années j’ai remisé mes cahiers. Le clavier en guise de plume. La semaine dernière j’ai perdu tout le contenu de mon disque dur. C’est comme si avaient brûlé tous mes cahiers. Sauf que j’en avais fait copie. Il y avait quelques mois. J’ai perdu peu croyant perdre tout. Mais j’ai perdu beaucoup en perdant tout simplement. La prétention à l’édition ne tient peut-être qu’à cela : l’archivage en quelques lieux, multiples, mettant à l’abris de quelques incendies. De ces quelques mois ne reste que ce qui fut diffusé. Les correspondances et les publications sur Internet.   

Choix de la posture : n’écrire que pour les publications autorisées – qui demeurent fidèles au papier ; inonder de correspondance ; reprendre l’écriture pour soi au péril de la perte – la perte du lecteur comme on perd la promesse d’un témoin, la perte des données.

Le blog comme congé donné au lecteur. Assurément. Des mots pourtant au-delà de soi – car cela reste ce qui se joue dans l’écriture. Car si le lecteur risque de demeurer à jamais en suspend, au moins peut demeurer l’archive.

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